LETTRE D’AASIAAT (89)
de Nuuk à Aasiaat
du Samedi 7 au Dimanche 15 Juillet 2018
En bateau l’exercice physique n’est pas excessif mais il sollicite tout le corps et souvent :
-
épaules et bras pour wincher en hissant la grand’voile (quand la têtière de grand’voile arrive en tête de mât on est content de donner le dernier coup très résistant de manivelle pour étarquer après avoir hissé de 25m au-dessus de l’eau ses quelques 100 kilos plus les frottements; la lourde manivelle en inox a deux poignées est bien utile car de plus en plus souvent les équipiers s’y mettent à deux ! Je n’ai pas voulu par sécurité mettre de winch électrique en pied de mât car si on ne réalise pas instantanément que quelque ris non relâché ou des lazy jacks engagés ou quelque autre raison la bloque on peut déchirer la grand’voile ou rompre la drisse tant la traction des winchs est élevée.
-
épaules et bras pour border l’écoute de grand’voile après l’avoir largement choquée pour prendre un ris dans la brise (sur Balthazar j’ai réservé les winchs électriques aux écoutes de GV et de solent, ainsi qu’à leur chariot d’écoute, et à leurs enrouleurs ; là les efforts sont tellement importants dans la brise, de l’ordre de la tonne de traction sur Balthazar, qu’il faudrait des winchs très démultipliés, donc des vitesses très lentes, pour être capable de faire ces opérations à la force des bras),
-
épaules et bras pour lover après les avoir larguées, les quatre ou cinq lourdes amarres mouillées (elles font sur Balthazar 22mm de diamètre et une quinzaine de mètres chacune). Il faut après les avoir lovées les porter complètement au bout d’un seul bras lorsque avec l’autre on passe la boucle pour arrêter la glène en laissant une queue d’un bon mètre pour la suspendre
-
assouplissement du dos, des cuisses et des genoux pour déverrouiller le coffre tribord qui est à ses pieds et l’ouvrir avant de se pencher à genoux pour les suspendre par un nœud de cabestan à des tubes horizontaux dans ce coffre.
-
Hissage du moteur hors bord de sa chaise, dans le coffre bâbord, pour le déposer sur le pont puis descente avec un bout par-dessus bord pour que l’équipier qui attend en bas dans le zodiac l’installe sur son tableau arrière
-
Hissage avec un palan à poste du zodiac et de son moteur suspendue aux sangles de l’arceau arrière avant d’appareiller; il faut s’y mettre à deux pour y arriver bien que le palan soit moufflé.
-
Mise en sac et transport du génois ou de la GV pour les amener chez le voilier. Là aussi il faut être deux pour soulever ces très gros sacs de près de 100 kilos chacun et les faire passer au-dessus des nombreux obstacles sur le pont avant de les déposer sur le ponton sur un chariot.
-
escalade d’échelles verticales pour monter sur le quai (ici nous avons entre deux et trois mètres cinquante de marnage entre marée haute et basse) avant de se rétablir en tirant sur le petit arceau en acier au bord du quai tout en levant haut son genou pour poser le pied sur le quai et se dresser. A la descente il faut faire attention à son équilibre lorsque Balthazar, à marée basse, se trouve trois mètres plus bas et qu’il faut se saisir du petit arceau à ses pieds pour aller chercher le premier barreau de l’échelle que l’on ne voit pas (les échelles sont logées en retrait pour qu’elles ne débordent pas les gros madriers qui reçoivent l’appui des défenses protégeant les coques des gros navires).
-
Contorsions et cambrures pour simplement se lever de sa couchette ou s’y coucher par forte gîte, pour mettre ses chaussettes ou enfiler son pantalon quand ça tabasse et qu’il faut garder son équilibre dos appuyé à une paroi
-
Contorsions et cambrures pour pomper et sécher régulièrement (une fois par semaine en moyenne) les fonds du bateau qui reçoivent dans ces eaux froides des litres d’eau de condensation.
-
Contorsions et cambrures pour aller chercher les écrous des plaques de dérive, pour resserrer les innombrables colliers des tuyaux d’eau reliant les vannes passe coques aux filtres et aux pompes
-
Contorsions et cambrures pour aller chercher et remplacer ce putain de capteur basse pression qui provoque des arrêts intempestifs du dessalinisateur
-
Contorsions et cambrures pour aller chercher et remplacer la turbine de refroidissement eau de mer du moteur ou simplement la jauge d’huile très basse et masquée par une grosse durite allant à l’échangeur
-
Contorsions et cambrures pour aller chercher sous les planchers ou au fond des coffres la pièce de rechange désirée au milieu d’une centaine d’autres ou un choux vert, ou un cubitainer de vin, ou un pot de confiture,ou……
-
Contorsions, cambrures et reptation pour aller chercher dans le coffre arrière bâbord, après l’avoir entièrement vidé de son contenu (ancre et ligne de mouillage de secours, ancre et ligne de mouillage arrière, aussières et bouts divers, marche pied…) et après avoir déposé la cloison supportant le vase d’expansion du chauffage, cette putain de pompe d’alimentation du chauffage qui a avalé de l’air et s’est désamorcé par la faute d’un capitaine inattentif qui avait tardé à transférer du gasoil dans le réservoir journalier pour le remplir à nouveau
-
Escalade et rétablissement pour remonter du fond de la soute à voiles où je disparais complètement malgré ma taille, après avoir sorti le spinnaker et le gennaker et mis en place dans leurs armoires étanches boulonnées les bouteilles de propane en acier d’une bonne vingtaine de kilos chacune
-
Parfois monter en tête de mât avec un baudrier d’escalade ou une chaise de mât
-
Etc….etc….
Il n’est donc pas surprenant que le Papi en route bien avancée vers ses 80 ans se retrouve beaucoup plus agile et vigoureux au bout d’un ou deux mois de croisière alors qu’il embarque raidi et affaibli par le mol séjour terrestre de l’hiver précédent malgré sa gymnastique trop espacée au mur d’escalade. Pour moi la grande croisière sur Balthazar c’est aussi mon bain de jouvence. Mais les premiers jours se font de plus en plus durs…..Au retour de l’Alaska par le canal de Panama et l’Atlantique ou bien par le Pacifique, l’océan indien et le cap de Bonne Espérance s’il n’est pas encore cuit il faudra quand même que l’octogénaire que je serai devenu songe à un bateau moins physique que Balthazar. Pourquoi pas une jolie petite tartane à la voile couleur cachou dans le port de Cassis, où je déménage à l’Automne, pour occuper mes vieux jours ? Certes un peu spartiate et légère pour aller en Corse, avec une bonne protection météo quand même, mais aussi plus pépère. Pour se balader dans les calanques, aller faire un tour à Porquerolles ou au Vieux-Port à Marseille elle serait parfaite. En plus elle aurait à sa proue le symbole phallique que personne ne remarque car elles l’ont toutes, alors que je n’ose pas mettre une paire de c… je voulais dire de poires, à la proue de Balthazar. Là tout le monde le remarquerait ! Il faudrait que j’explique aux Barbares (traduire les gens du Nord, ceux qui sont nés au Nord d’Avignon) de quoi il retourne.
Nous voilà donc à Nuuk, capitale du Groenland, mélange pas très heureux de maisons traditionnelles en bois aux couleurs vives et d’immeubles modernes. Près du quart de la population du pays (56.000 habitants au total) vivent ici. Ici, c’est la ville. Il y a même quelques ronds-points et feux rouges que nous n’avons pas vus depuis Reykjavik.
A quelques pas du port nous entrons tout d’abord dans un Somandshjemmet, foyer des marins que l’on trouve dans les quatre plus grandes villes groenlandaises, Qaqortoq, Nuuk, Sissimiut et Aasiaat. Ce sont des maisons hôtels confortables offrant aux marins à des prix très raisonnables chambres, douches, restaurant/cafeterias à la cuisine simple de collectivités, WiFi, salon. D’accès libre beaucoup de familles groenlandaises les fréquentent aussi.
Nous y rencontrons une anglaise sympathique, Sally, de Shimshal II. Leur bateau a hiverné à Aasiaat. Ils descendent maintenant la côte Ouest du Groenland et attendent une météo favorable pour traverser le détroit de Davis et la mer du Labrador pour se rendre au Canada. Elle m’invite à passer les voir sur leur voilier et y retrouver notamment Mike. Je les retrouve un peu plus tard dans leur voilier confortable à salon de pont. Je ne suis pas tout à fait surpris que Mike (voir la lettre 87 d’Ipiutaq) n’ait pas supporté l’ambiance non chauffée, plus qu’austère et spartiate de Kiwi Roa et ait décidé de poser son sac à terre à Nuuk. Il nous l’avait déjà laissé sentir lors de notre dernière rencontre à Aappilattoq. Le caractère entier et poussant la rigueur à l’extrême de Peter et des rapports difficiles l’ont conduit à tirer sa révérence. C’est Sally et l’équipage de Shimshal qui a accepté de l’embarquer pour le sortir d’affaire. Mike est rayonnant dans l’ambiance chaleureuse de Shimshal, semblable à celle de Balthazar. L’embarquement d’un équipier inconnu sur un bateau cela ne marche pas toujours bien, du fait de l’équipier ou du fait du skipper ou de sa compagne. Il faut bien se connaître entre amis pour partager la vie dans un espace confiné et dans des situations pas toujours faciles.
Sally me donne l’adresse Internet de Victor, de son nom complet Victor Wejer, ancien yachtman chevronné canadien qui, sur une base volontaire, s’est passionné pour le passage du Nord Ouest et communique aux voiliers qui le contactent des informations sur l’état des glaces et la progression des uns et des autres. Victor a contribué à la rédaction du guide du RCC (Royal Cruising Association britannique) Arctic and Northern Waters et publié un supplément North West Passage routing guidelines. J’espère que ce lien nous sera utile.
Pour l’instant c’est trop tôt pour le contacter car le passage est encore totalement pris par les glaces. Nous verrons de quoi il retourne vers la fin du mois de Juillet.
Entre-temps un voilier, Cristal, ayant à son bord huit polonais est venu à couple de Balthazar. Eux aussi ont l’intention de faire le passage du Nord-Ouest.
Nous mettons à profit la présence à Nuuk d’une grande surface très bien fournie, comparable à ce que nous trouvons chez nous pour les meilleures, pour faire un gros complément d’approvisionnement. Avec celui que nous ferons dans quelques jours à Sissimiut nous voilà les coffres, les congélateurs et le frigidaire, bourrés à craquer pour faire face aux 6 semaines de quasi autonomie qui nous attendent après le départ du Groenland. Nos dernières courses, en vivres et légumes frais, nous les ferons à Uppernavik, d’où nous traverserons la mer de Baffin pour arriver dans l’archipel canadien.
Le capitaine du port de Nuuk est un homme accueillant et serviable. Il vient sur le quai d’en face m’expliquer comment faire le plein d’eau avec des manœuvres qui nous passent un gros tuyau à fort débit.
La logistique à Nuuk c’est aussi Osivit. Au bout d’une petite presqu’île jouxtant l’entrée du port se trouve un grand bâtiment dominant un petit ponton gasoil. Complément de plein de gasoil fait (à partir de maintenant il faut garder le réservoir plein, celui de Balthazar fait 1300 litres, car on fait beaucoup de moteur par ici et il ne faut pas être pris au dépourvu si un point de ravitaillement est à cours de carburant), nous entrons dans le grand magasin vendant de l’accastillage, du matériel de pêche mais aussi des armes. Kalista, à Ipiutaq, nous avait recommandé d’acheter là notre fusil pour nous protéger des ours polaires. Finalement mon choix se porte sur un Browning, choix un peu cher mais la réputation de grande qualité de cette arme devrait faciliter la revente en Alaska aux américains, tout au moins je l’espère. Deux boîtes de 20 cartouches devraient nous suffire pour nous entraîner (la bête de 500 à 700 kilos et de 3m de haut sur ses pattes arrière il ne faut pas la manquer quand elle vous fonce dessus affamée !) tout en conservant deux ou trois chargeurs de 5 cartouches pour nous défendre en cas de mauvaise rencontre.
Cet achat rend de plus en plus concrète l’approche de notre aventure polaire.
Lundi 9 Juillet. Appareillage en fin de matinée depuis le ponton d’Osivit. Sortie par temps nuageux mais assez clair par le long fjord qui donne accès à Nuuk en venant du Nord, le Norlob. Temps calme, vent presque nul, marche au moteur au régime économique de 1000 tours qui donne une vitesse surface de 6,8 nœuds.
Vers 18heures le temps s’est levé, magnifique. Les oiseaux se font plus nombreux indiquant une mer plus riche en vie sous marine. Tiens trois baleines s’ébrouent à une trentaine de mètres de Balthazar. A nouveau deux baleines à une trentaine de mètres puis encore trois grosses à l’approche de Manitsoq. Leur queue est énorme, à peu près de la largeur de Balthazar (5 mètres) et la puissance de ces mammifères est impressionnante, leur déplacement et inertie aussi (du même ordre de grandeur que Balthazar) ! Se laissant approcher de très près sur notre trajectoire je crains une collision si nous ne les apercevons pas en surface à temps. Quel courage il fallait aux Inuits de l’époque pour s’attaquer à ces monstres à partir de leurs frêles embarcations avec des harpons lancés à la main. La course poursuite jusqu’à épuisement de l’animal pouvait alors durer des heures.
De temps à autre un phoque sort rapidement sa tête de chien de l’eau mais plonge dès qu’il nous voit. Etant chassés à la carabine ils savent que l’homme est leur prédateur. On les voit donc rarement alors qu’en Antarctique la chasse et la pêche sont interdites et ils se prélassaient sur les growlers en levant à peine la tête lorsque Balthazar s’approchait pour les photographier.
Nous ne sommes plus très loin (une centaine de milles) du cercle polaire et un magnifique coucher puis, presque simultanément, lever du soleil derrière les montagnes qui se découpent sur le ciel s’offre à nos yeux. A 2h40 du matin entrée dans l’étroite calanque qui abrite le petit port de Manitsoq. C’est ici qu’en Juin 2012 nous avions atterri au Groenland, au radar par un brouillard très épais, après avoir traversé la mer du Labrador en provenance de St Pierre et Miquelon.
Discrètement nous allons nous amarrer à un petit ponton, chose très rare au Groenland, derrière Chaman, le Boréal sous pavillon suisse de Dominique Wavre et Michèle Paret que nous avions croisé en arrivant à Nuuq.
Temps magnifique toujours en se réveillant dans ce tout petit port chaleureux.
Nous faisons connaissance avec nos voisins de ponton. Dominique est un grand coureur océanique, au palmarés impressionnant, qui fut redouté par ses concurrents car terminant très souvent sur le podium. Il est genevois alors que Michèle, sa compagne de course, est niçoise. Ils forment un couple sympathique. Arrivés directement des Açores au Groenland il m’explique qu’ils vont attendre jusqu’à Vendredi les pièces que lui a expédié le chantier Boréal. Ce sont des contacteurs à pied de commande du guindeau ; solution très pratique mais non fiable car ces contacteurs posés à plat pont sur lesquels on marche, exposés aux lames qui s’invitent à bord à la proue du bateau, finissent toujours par perdre leur étanchéité et se corroder ; j’explique à Dominique qu’après m’être retrouvé en carafe à deux reprises sur Marines je les ai bannis sur Balthazar. Son expérience après seulement deux années de navigation sur ce Boréal presque tout neuf confirme que cette solution n’est pas bonne. Ils se joindront à nous pour regarder la demie finale France Belgique demain après-midi au bar de l’hôtel principal de Manitsoq qui nous surplombe.
En attendant vent léger plus soleil c’est le temps idéal pour la lessive. Le petit lave linge de 3kg de Balthazar en fait trois car il y avait du retard. Les duvets prennent l’air et le soleil sur la bôme tandis que le linge sèche en occupant toutes les filières du bateau. Ils sentiront bons quand nous les rentrerons en revenant du match serré et tendu que la France a remporté. Bravo en particulier Hugo Lloris qui a sauvé certainement plusieurs buts. Voilà la France en finale de la coupe du monde.
Il a fallu aussi s’occuper du dessalinisateur que je n’avais pas réussi à remettre en route à Ipiutaq. Il s’arrêtait systématiquement sur alarme Basse Pression de la sortie boost pompe lorsque que je mettais en route la pompe haute pression au cours de la séquence de démarrage. Après avoir contrôlé que l’arrivée d’eau n’était pas obstruée, ce qui nécessita plusieurs démontages, il fallait conclure que c’était probablement le capteur lui-même qui déclenchait intempestivement cette alarme stoppant la séquence. Discussion au téléphone avec le SAV (service après-vente) de la compagnie hydrotechnique (qui avait fourni ce dessalinisateur Sea Recovery Aqua Whisper à Garcia) qui confirme le diagnostic et m’aide à localiser le capteur dans la machine. Après avoir installé le capteur de rechange le dessal repart sans problème. Le technicien du SAV m’apprend que celui de rechange que j’ai, d’un type différent de celui qui était monté avant, est d’après leur expérience en maintenance beaucoup plus fiable que les précédents qui devaient être assez souvent remplacés. Voilà un problème fâcheux résolu car ravitailler en eau par des rotations en annexe de 100 litres (5 bidons de 20 litres) aux rares endroits où c’est possible aurait été très contraignant et aurait entraîné de facto un rationnement sévère en eau à bord. Croisons les doigts pour que le nouveau capteur tienne ses promesses car le SAV n’en a plus en stock et ils en disposeront trop tard pour l’expédier en 24h à Bertrand avant qu’il ne prenne l’avion ces prochains jours pour nous rejoindre. Le renouvellement de la rechange devra attendre la saison prochaine en Alaska.
Il fait tellement beau aujourd’hui que l’équipage déjeune avant le match en Tshirt et seulement une petite laine au soleil dans le cockpit, ce qui est quand même rare ici.
Mercredi 11 Juillet. Réveil à4h30, appareillage à 5h20 de Manitsoq. Une longue étape de 116 milles nous attend car un léger retard dû au mauvais temps précédent et au match d’hier nous oblige à sauter l’étape initialement prévue de Kangaamiut pour rejoindre directement Sisimiut, deuxième ville du Groenland avec 5500 habitants. Nous empruntons quand même, malheureusement par temps de crachin, le passage intérieur du Hamborgersund qui offre de belles vues sur les montagnes et les glaciers. Nous nous offrons en prime un détour pour explorer le fjord de Sermilinguaq et aller voir au fond une langue glaciaire descendant directement de l’immense inlandsis. Etape monotone faite au moteur épaulé de temps en temps par le génois lorsque le léger vent du Sud nous pousse un peu de l’arrière. Aperçu quelques baleines.
66°34’ Nord, ça y est, le cercle polaire arctique est franchi et nous entrons au pays du soleil de minuit. Le temps se lève à l’approche de Sisimiut qui se trouve juste à son Nord. C’est le premier endroit en remontant la côte ouest où l’on rencontre des chiens de traîneaux. Voilà le tout petit port de pêche bourré à craquer comme d’habitude dans ce pays. La grue que j’avais effleurée avec le haubannage de Balthazar en 2012 (lire sur le site de Balthazar la lettre correspondante) est toujours là qui monte la garde en face du musoir de la courte digue. Ce coup-ci sa flèche ne barre pas l’entrée mais cela reste traître car elle est libre de tourner en se mettant dans le lit du vent. Vous croyez avoir paré le danger et vous vous occupez de trouver une place compliquée dans ce port où l’on peut tout juste éviter pour faire demi-tour et la voilà qui insidieusement revient sans prévenir. Echaudé par ce quasi accident et le vaccin de rappel de Narssaq je suis cette fois-ci bien sur mes gardes d’autant plus qu’ils en ont rajouté une un peu plus loin devant l’usine de conditionnement des poissons et crevettes. Pas simple quand même de regarder en l’air avec une capote au-dessus de la tête. Coup de chance une place s’est libérée le long du court quai de l’entrée du port sur bâbord, alors que partout ailleurs les bateaux de pêche sont plusieurs à couple. Mais est-ce que Balthazar va rentrer ? tout doucement, en s’aidant du minisafran que j’ai fait rajouter derrière l’hélice et du propulseur d’étrave, j’approche Balthazar latéralement dans ce créneau extrêmement juste. Cette manœuvre aurait été impossible avec tous les bisafrans que l’on voit exposés au salon nautique. Il reste un petit mètre à l’arrière et l’ancre à la proue touche l’aussière qui tient une rangée de petits bateaux mais ça rentre. Un inuit arrive alors qui déplace sans rechigner cette rangée de petits bateaux en me donnant le mètre qui manquait. Les locaux, pour la plupart pêcheurs, sont vraiment sans exception très serviables et accueillants. Jamais nous ne rencontrerons ici de marins pêcheurs râlant parce que nous leur prenons une place et nous envoyant promener ou ne levant pas le petit doigt pour donner un coup de main. Et pourtant ici les ports sont tous petits et archibondés. Sans bruit et avec le sourire ils acceptent que vous veniez à couple ou que vous preniez une place à quai si une vient de se libérer. Mais attention ; vous croyez vous être mis à couple d’un vieux chalutier apparemment désarmé et voilà que surgit le patron qui en cinq minutes réveille la bête et est prêt à appareiller. Il faut alors se déplacer rapidement pour ne pas les retarder. Mails ont toujours le sourire.
Journée de repos par grand beau temps le lendemain dans cette petite ville sympathique. Les maisons colorées sont toutes peintes de frais et s’étagent sur la colline qui domine le port. L’église et le musée sont là, sur une plateforme à mi-hauteur. Deux énormes os de baleine forment un arc sous lequel on pénètre avant d’entrer au musée. La meilleure des maisons des marins de la côte est proche de l’église, juste au-dessus du port. Visite du musée, repas et séance de WiFi pour récupérer nos mails au foyer des marins, gros marché au Pisiffik, quelques travaux d’entretien du bateau occupent une journée bien remplie.
Balthazar se retrouve flanqué de deux bateaux à couple, le bateau polonais Cristal rencontré à Nuuk et un gros ketch en alu allemand ressemblant à un panzer nommé FREYDIS. Freydis est la fille d’Eric le Rouge et la sœur de Leif Eriksson, le grand explorateur islandais. Lors d’une expédition au Vinland (côte Est du Canada, Labrador et Terre- Neuve probablement) elle prend part au combat face aux amérindiens. Femme d’une sacrée trempe elle décide de relancer une expédition au Vinland, se querelle avec les islandais et en tue certains. Il en fallait en effet une sacrée trempe pour survivre aux aventures de Heide et Erich WILTZ ! Je bavarde avec le skipper à la barbe grisonnante qui ne doit pas avoir loin de mon âge et avec sa femme médecin de formation qui me racontent leur naufrage avec son Freydis précédent, en acier, pris par un ouragan au sein du cratère de Deception island en Antarctique où ils avaient décidé d’hiverner. Le plus ahurissant est qu’ils ont réussi à se sauver en s’installant avec leurs vivres partiellement récupérées dans l’ancienne base scientifique anglaise, puis sauver et renflouer leur bateau dans des conditions extravagantes. Par exemple à la fin de l’hiver le moteur, le bateau même, n’était plus qu’un bloc de glaces qu’il a fallu attaquer au pic et au burin. Pour relancer le moteur il a fallu complètement démonter le démarreur à terre puis remplir le moteur d’huile chaude, ils ont réussi à colmater le gros des voies d’eau et à l’aide de pompes prêtées par une base chilienne sur cette même île à renflouer le bateau etc..etc… Ce FREYDIS premier a repris ses pérégrinations marines mais le voilà pris dans l’ouragan de Fukushima. Heureusement ils n’étaient pas à bord. L’ouragan emporta leur bateau en mer qui s’abîma ensuite au pied de falaises rocheuses. Voilà les raisons m’explique-t-il pourquoi leur nouveau Freydis qui est là, non plus en acier mais en aluminium, a un triple fond. C’est la première fois que j’entends parler d’un bateau avec un triple fond. Visiblement Heide et Erich n’ont pas envie de se retrouver à nouveau avec Freydis plein d’eau ! Je tire mon chapeau à la pugnacité et à l’habileté de ces grands marins et je vais certainement lire à mon retour leur livre racontant leur histoire.
Samedi 14 Juillet. Après une brève escale à Kangaatsiaq pour dormir nous poursuivons une navigation intérieure sinueuse à travers un dédale d’îles à l’approche de la baie Disko. Nous avons retrouvé des icebergs échoués ça et là qui ont réussi à s’y faufiler.
Arrivée à Aasiaat à 15 heures. Nous voilà, à couple de deux puis d’un chalutier, à poste et à temps pour la relève d’équipage et la finale de la Coupe du Monde qui aura lieu demain.
aux équipier(e)s, parents et ami(e)s qui ont la gentillesse de s’intéresser à nos aventures marines.
Pour lire d’autres lettres de Balthazar ou connaître sa dernière position visiter le site de Balthazar artimon1.free.fr
Pour la position vous pouvez aussi cliquer sur l’adresse www.trackamap.com/balthazar
Équipage de Balthazar: F. Jean-Pierre d’Allest, Jean-Jacques et Anne Auffret, Nicole Delaître.